Ce jeudi 26 novembre fut marqué par la nouvelle polémique amorcée par la Secrétaire d’Etat à la Famille Nadine Morano. Ce matin là, Mme Morano était l’invitée dans la tribune « Bourdin Direct » sur le plateau de la chaîne info BFMTV/RMC.
PEGI: pour quoi faire?
Durant la discussion, le présentateur a abordé le sujet de la prévention sur les jeux vidéo violents et des dangers de l’addiction sur des jeux se jouant en ligne, l’arlésienne Dofus étant cité comme exemple. Mme Morano a alors soulevé le problème de la signalétique PEGI qui selon elle se révèle « insuffisamment visible, insuffisamment connue ». On rappellera que la signalétique PEGI (Pan European Game Information), norme européenne et ratifiée par les états membres de l’Europe, classifie les titres en fonction de l’âge minimum recommandé et mentionne la présence de contenus potentiellement choquants (langage grossier, violence, référence aux drogues, etc.). Encore une fois, c’est le jeu Dofus qui est prix pour cible, les autres habitués des polémiques étant World of Warcraft, Counter Strike et Grand Theft Auto.
La secrétaire ne manque ainsi pas de s’insurger sur le fait « qu’il y a bien un texte (sur les emballages) qui dit attention, si vous restez quatre heures ou tant d’heures devant, vous risquez des problèmes d’épilepsie mais il est écrit en tout petit, on ne voit rien ». Sauf qu’on peut se demander si Mme Morano a réellement déjà lu cette mention qui figure bien sur les jaquettes des jeux vidéos : il n’est en effet pas indiqué le nombre d’heures sur la jaquette mais il faut se référer au manuel pour obtenir des informations sur les précautions à prendre lors de l’utilisation d’un jeu. Ces recommandations peuvent être consultés sur le site Pedagojeux à l’initiative des membres du SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciel de Loisirs) entre autre. On rappellera que la signification de la signalétique est détaillée dans l’ensemble des manuels de jeux. On doute à l’inverse de l’efficacité d’une grosse bannière laide apposée sur la jaquette « façon paquet de cigarette ».
Jeux d’enfants
Mme Morano déplore également qu’ « on voit beaucoup trop de jeunes avoir accès facilement aux rayons des jeux vidéos les plus violents, les plus dangereux, et qui ne sont pas de leur âge et passer sans aucune difficulté à une caisse. ». Bien que cela soit vrai, il faudra rappeler outre la présence de la classification des jeux indiqué par les logos sur les boites de jeu, que tous les jeux vidéo ne sont pas violents même s’ils sont classé 18 ! De plus, le prix des jeux qui on le rappelle avoisine les 60-70€ en magasin constitue un frein pour les enfants qui ne disposent pas toujours de cette somme. Quand bien même il disposerait de cette somme, c’est aux parents de veiller à ce que leurs enfants achètent et de les éduquer en ce sens, comme ne pas autoriser l’achat de tabac, alcool ou revue de presse à caractère sexuel. Tout comme on ne laisse pas un enfant acheter un DVD aux contenus qui pourraient le choquer. C’est une affaire de bon sens. Il est ainsi dommage que dans la conscience de personnes conservatrices, que le terme « jeu » dans jeu vidéo demeure associé au terme « jouet » et en conséquence à l’univers des enfants. Il s’agit d’un loisir qui a pour but celui de divertir et ce à tous âges, au même titre que pratiquer un sport en loisir ou aller au cinéma.
Back to the past
Pour montrer son implication dans ce combat, Mme Morano conclue par un « nous sommes en train de travailler sur la façon d’informer mieux les parents (…) sur internet, sur la signalétique dans les magasins et sur les packagings de ces jeux ». Il est vrai qu’il reste du travail quant à la reconnaissance de tous de la norme PEGI : selon l’institut Ipsos et de la Délégation ministérielle à la famille, la quasi-totalité des 6-17 ans s’adonnent aux jeux vidéo, mais seuls 21% des parents ont parler de la norme PEGI. Mais c’est également dénigrer le travail effectué durant tout ce temps par le SELL, avec notamment la refonte complète de la signalisation du printemps dernier. D’autant que le SVNJ réagit à propos de Mme Morano comme quoi ils n’était pas au courant de ce projet de réflexion.
Retrouvez ici l’intégrale de cette interview et le sujet qui nous concerne à la minute 6’30 »:
« Le jeu vidéo, ça rend aveugle! »
C’est ainsi que durant la soirée, la réaction ne s’est pas faite attendre en réponse à la Secrétaire d’Etat du côté du SELL : Jean-Claude Larue, délégué général du SELL, s’est insurgé des propos de Mme Morano dans une interview accordé au site teknlogic.fr, affirmant sans détour que « les politiques prennent les joueurs pour des cons ». Et il illustre son propos par la réaction lamentable d’une députée suite à l’intervention de Mme Morano, alors qu’il l’appelait pour lui parler du site Pedagojeux : « La télé, c’est bien pour notre jeunesse , mais les jeux, attention… c’est dangereux et en plus… ça rend aveugle ! ». Faut il vraiment rajouter quelque chose après de tels propos ? Ou comment détruire en l’espace d’une phrase les efforts réalisés pour sensibiliser le grand public sur la manière de jouer.
SNJV: « Nadine veut la mort à nos jeux! »
De son côté le Syndicat National du Jeu Vidéo a tenu à répondre par un communiqué officiel : Indignation des professionnels du jeu vidéo après les propos tenus par Madame Nadine Morano sur l’antenne de RMC:
Tout comme leurs partenaires du SELL (le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs), les professionnels du jeu vidéo réunis au sein du Syndicat National du Jeu Vidéo tiennent à manifester leur indignation après les propos tenus par la Secrétaire d’Etat à la famille, lors d’une émission de radio ce matin.
Interrogée par le journaliste, la Secrétaire d’Etat a remis en cause la signalétique présente sur les jeux vidéo commercialisés en France, la jugeant « insuffisamment visible et insuffisamment connue ».
« Nous sommes indignés par cette nouvelle déclaration de Madame Nadine Morano qui traduit une fois de plus sa parfaite ignorance tant du secteur du jeu vidéo et de ses usages que des efforts et des actions mis en place par les professionnels pour informer et sensibiliser les consommateurs au moment de choisir un jeu vidéo » indique Nicolas Gaume président du SNJV.
« Il est fort regrettable que par facilité, Madame Nadine Morano désigne une fois de plus le jeu vidéo comme source de tous les maux, et que perdure une complète désinformation à l’égard du loisir préféré des français, pratiqué par plus de 22 millions de nos concitoyens jeunes et adultes », poursuit le Président du Syndicat.
Parce que les professionnels sont conscients de l’importance d’informer et de faire de la pédagogie auprès du grand public, ils ont depuis 2003 mis en place une signalétique : le système PEGI, reconnu dans toute l’Europe et soutenu sans réserve par la Commission Européenne. Une nouvelle version de ce système a d’ailleurs été lancée cette année dans toute l’Europe pour clarifier d’avantage l’âge recommandé et les descripteurs de contenus.
« Madame Morano indique qu’elle réfléchit actuellement à faire évoluer la signalétique au sein d’une commission, mais nous n’avons jamais été informés de cette réflexion et encore moins de la création de ce groupe de travail, ce qui démontre sans doute la volonté de la Secrétaire d’Etat de confisquer le débat » souligne le Délégué Général du SNJV, Julien Villedieu.
Pour terminer, les professionnels du jeu vidéo rappellent que moins de 4% des jeux vidéo qui ont été commercialisés en Europe en 2008 étaient réservés à un public de 18 ans et plus.
Morano: la récidive de trop
Nadine Morano n’en est pas à son premier essai. Car elle fait de la violence dans les jeux vidéos sa priorité. Le jeu GTA IV en a ainsi fait les frais à sa sortie : la Secrétaire d’Etat s’était ainsi insurgée contre la sortie du jeu, qu’elle qualifiait de « violent », « amoral » et potentiellement « addictif ». bien évidemment, le jeu est classé interdit au moins de 18 ans. Pour le caractère addictif, personnellement, je ne le trouve pas plus addictif qu’un autre bon jeu.
Une anecdote amusante avait fait le tour de la toile quelques temps plus tard où l’on voyait Mme Morano manette en main avec son fils en famille en train de s’adonner à… GTA IV. Plus tard, elle démentira par voie de presse, avec l’appui du journaliste de Paris Match à l’origine de la photo, qu’en tant que mère de famille, elle organisait pour ses trois enfants âgés de 20, 18 et 13 ans une séance de pédagogie illustrée où elle leur montrait pourquoi elle avait pris position contre GTA IV. Et c’est cet instant hautement éducatif que le reporter de Paris Match a su saisir au vol.
Le jeu vidéo: fléau des temps modernes?
Enfin, on n’oubliera pas la fameuse campagne publicitaire sujette à polémique diffusée sur tous les écrans l’année dernière :
Le message était clair : néo-nazisme… pornographie… jeu vidéo…pédophilie : même combat ! Le spot mettait donc sur un même pied d’égalité le jeu vidéo et les fléaux de l’Internet dont peuvent être victimes les enfants et jeunes adolescents. Tollé dans la profession bien évidemment suite au spot : le site Gameblog.fr se fendra même d’une lettre ouverte à l’encontre de la Secrétaire d’Etat lui faisant remarquer à juste titre que « Parmi les quatre dangers présentés dans le spot(… )le jeu vidéo est donc le seul à avoir d’ores et déjà intégré des réponses claires et simples visant à aider les parents et ce d’une manière poussée, puisque directement inclus dans les appareils. Il n’est pas sournois, il n’est pas pernicieux, il affiche ses dangers potentiels et ce sur chaque jaquette de jeu. Ainsi, avant d’incriminer le jeu vidéo, aux parents d’être attentifs à ce qu’achètent leurs enfants. »
Ce que j’en retire au final, c’est que la classe politique montre à nouveau son total décalage avec le monde qui l’entoure. Au lieu de proposer des mesures concrètes pour la sensibilisation du grand public sur le vrai visage du jeu vidéo et la façon de l’utiliser, Mme Morano s’est ingéniée à tirer à blanc sur la profession du jeu vidéo dans sa globalité, en passant outre tous les efforts déjà consentis par les éditeurs notamment dans le domaine de la prévention. Tout n’est pas parfait bien entendu car il reste encore de nombreuses choses à faire: un lien vers le site Pedagojeux pour mentionner par un sticker sur le jeu ; des campagnes d’information et de sensibilisation dans les établissements scolaires pour expliquer comment choisir son jeu, ce qu’est la norme PEGI et les dangers existants ; la généralisation de la classification des jeux par genre et par âge chez les revendeurs spécialisés. Bref, il reste du chemin à parcourir avant la reconnaissance du jeu vidéo comme un loisir et non un danger pour la famille.
Sites de référence
- PEGI http://www.pegi.info/fr/
- Pédagojeux http://pedagojeux.fr
- Syndicat National du Jeu Vidéo http://www.snjv.org/
- SELL http://www.sell.fr
- Interview Jean-Claude Larue http://www.teknologik.fr
- Lettre ouverte à Nadine Morano par Gameblog.fr http://www.gameblog.fr
7 réponses à “[Coup de gueule] Nadine n’aime pas PEGI”
Concrètement y’a quoi comme jeu encourageant la discrimination ou le racisme. J’ai cherché avec des potes et on en a trouvé aucun…
Nadine Morano nous montre encore une fois que son incompétence dépasse le seuil de la nullité.
Très bon article et encore une brillante démonstration de l’incompétence de Nadine!
Félicitations pour cet article très intéressant.
Cela montre bien que les politiques sont déconnectés du monde réel.
Mais avec ce gouvernement, c’est encore plus flagrant. avec Nadine, on sent l’obligation de faire parler et faire genre on fait des choses dès qu’un fait divers arrive. Parce que le petit qui voulait tuer ses profs jouait aux JV (comme 90% des jeunes), alors c’est eux les fautifs et donc faut montrer qu’on se bouge!
Assez pitoyable comme attitude mais qui surtout s’accompagne d’actions et de consultations totalement à coté de la plaque. Comment ne peut-on pas convier à ce groupe de travail les principaux intervenants?
Tout est surréaliste avec Nadine.
Mais en même temps toute cette communication et désinformation fonctionne bien. Demandez autour de vous si les gens pensent que les JV rendent violent et expliquent certains drames. Il y a quelques années c’était avec le cinéma (cf l’affaire Scream).
Bientôt ça sera le tour des mangas et autres BD.
Ca n’a pas fini de faire couler de l’encre (ou print des bits :P). Le pire d’en tout ça c’est quand tu te retrouve en soirée ou en repas de famille et que le sujet est abordé. Bizarement beaucoup de monde à un avis sur la question qui va toujours dans le même sens, le jeu vidéo c’est mal. Mais quand tu demandes sur quoi est basé cet avis, la réponse est toujours la même, les médias. Que ce soit des reportages TV, certains journaux ou autres, les gens sont persuadés de savoir ce qu’est le jeu vidéo mais pourtant ils n’y on jamais touché. Qui n’a jamais entendue dire par une personne qui ne joue pas « Moi je sais les jeux vidéos c’est dangereux ».
Plus ça va et plus je me dis que les gens sont des chèvres et pas que sur ce sujet là, c’est bien triste.
Quand tu vois un père faire une partie de tennis sur Wii sport avec son fils, que la mère fait un peu de stretching avec Wii fit, que la grand-mère dans sa pension de retraite se divertit avec Programme d’Entrainement Cérabral sur une console DS ou lance un démineur tout simplement sur un PC: vous pensez que les gens assimilent ça à du jeu vidéo ou non? Si ça n’en est pas et que patr contre Assassin’s Creed ç’en est un et parce que c c’est dangereux, violent et addictif, alors faut m’expliquer…
Bouh, la vilaine.